Sanction judiciaire contre la Direction Générale des Finances Publiques ayant compensé en période suspecte un crédit d’impôt et une dette fiscale
Par Emmanuel STENE, Avocat au Barreau de Paris / 7 Mars 2018
La Cour d’appel de VERSAILLES prend le contrepied de tous les commentateurs spécialisés dans une décision du 9 janvier 2018
Lorsqu’une société est mise en redressement judiciaire, le Tribunal de commerce fixe une période antérieure au Jugement dite « suspecte » où tout paiement effectué peut être remis en cause.
Le Tribunal de commerce de VERSAILLES a, par jugement du 22 juin 2017, annulé une compensation opérée pendant la période suspecte par l’administration fiscale, entre un crédit d’impôt et une dette fiscale, et a condamné le Comptable du Trésor à rembourser le crédit d’impôt à la société.
Le Comptable du Trésor a fait appel de ce jugement et la Cour d’appel de VERSAILLES a confirmé le jugement, le 9 janvier 2018.
Cette décision du 9 janvier 2018 marque les annales judicaires : une Cour d’appel avait pour la première fois à trancher pareil litige, et la Cour d’appel de VERSAILLES a pris le contrepied de tous les commentaires spécialisés.
Je me propose de présenter cette affaire que j’ai portée, au nom de l’Administrateur judiciaire et du Mandataire judiciaire d’une société, devant le Tribunal de commerce de VERSAILLES, puis devant la Cour d’appel.
Les faits
Le 30 décembre 2016, le Contrôleur Principal des Finances publiques a notifié à une société une opération de compensation entre une créance détenue au titre d’un crédit d’impôt au titre du CICE (pour 125 498 euros) et une dette due au titre de la TVA (pour 153 421 euros).
L’opposition à cette compensation formée par la société a été rejetée par l’administration fiscale.
Entre temps, le Tribunal de commerce de VERSAILLES a, par jugement du 2 février 2017, ouvert une procédure de redressement judiciaire de cette société, en fixant la période suspecte à compter du 15 avril 2016.
L’Administrateur judiciaire et le Mandataire judiciaire ont saisi le tribunal de commerce de VERSAILLES aux fins d’annulation de cette compensation opérée le 30 décembre 2016, tout en réclamant au Trésor Public le paiement de la somme correspondant au montant du crédit d’impôt.
Le Comptable du Trésor a tenté préalablement à tout débat au fond de contester la compétence du tribunal de commerce, en exposant que ce litige ne relevait que du juge administratif.
Un conflit entre les règles fiscales et les règles du Code de commerce
Il y avait dans cette affaire un conflit entre les règles édictées par le Livre des Procédures fiscales (L 257B) orientant une telle affaire devant le juge administratif, et les règles édictées spécifiquement pour régir la matière des procédures collectives, et notamment l’article L 632-2 du Code de commerce.
Une telle affaire est-elle de la compétence du Tribunal administratif ou bien du Tribunal de commerce ?
Le Tribunal de commerce allait-il se déclarer compétent ou bien se déclarer incompétent au profit du juge administratif ?
Un précédent jugement rendu par le Tribunal de commerce de COUTANCES du 28 janvier 2015, tout en se déclarant compétent, avait annulé pareille compensation fiscale intervenue en période suspecte.
Dans le cadre de cette procédure instruite sur Coutances, le Procureur de la République avait rendu un Avis dont l’intérêt justifie qu’il soit reproduit :
« Monsieur le Procureur de la République s’interroge pour savoir comment concilier l’application de l’article L 632-2 du Code de commerce qui permet d’annuler un paiement réalisé au cours de la période suspecte, et l’article L 257 B du LPF qui permet au comptable d’effectuer un recouvrement par compensation des créances et dettes fiscales.
Il précise que face à des dispositions de valeur juridique identique, il convient de regarder les principes qui guident le législateur.
A cet égard, il considère que l’article L 632-2 du Code de commerce vise à assurer une égalité des créanciers, laquelle se trouve rompue par l’article L 257B du LPF.
Ainsi, l’application de l’article L 632-2 du Code de commerce prévaut ».
Le juge de Coutances a suivi l’Avis du Parquet.
Le Tribunal de commerce de VERSAILLES s’est déclaré compétent et a annulé la compensation
Le Tribunal a déclaré nulle la compensation fiscale et a condamné la Direction Générale des Finances Publiques à restituer à la société la somme de 125 498 euros correspondant au montant du crédit d’impôt, et ajoutant une somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles.
Pour rendre une telle décision, le tribunal de commerce avait relevé que l’administration fiscale avait une parfaite connaissance de la situation de cessation des paiements de la société pour avoir refusé, quelques jours avant la compensation une demande de délais de règlements des dettes fiscales et sociales de la société qui avait alors exposé ses difficultés en adressant un dossier complet.
Ainsi, le tribunal de commerce de VERSAILLES devenait-il le 2ème Tribunal de commerce à prendre une telle décision.
La Cour d’appel de VERSAILLES confirme le Jugement
La Cour d’appel de VERSAILLES est intervenue en terrain vierge, puisqu’aucune Cour d’appel n’avait encore eu à se prononcer sur un tel litige relatif à l’annulation d’une compensation d’une créance et dette fiscale opérée en période suspecte.
Le Parquet Général avait rendu un Avis confirmant en tous points le jugement du tribunal.
La Cour d’appel est claire dans sa décision, et confirme à son tour :
« La demande d’annulation de la compensation formée par les organes de la procédure sur le fondement de l’article L 632-2 du Code de commerce ne tend pas à la contestation de la validité de la compensation fiscale au regard des dispositions de l’article L 257 B du Livre des procédures fiscales, mais à l’annulation du paiement partiel de la créance de TVA due par la société intervenu en période suspecte par le jeu de la compensation fiscale.
Le tribunal de la procédure collective est seul compétent pour statuer sur une telle action en nullité ».
La Cour d’appel rappelle qu’il résulte de l’article L 632-2 du Code de commerce que les paiements pour dettes échues effectuées à compter de la date de cessation des paiements et les actes à titre onéreux accomplis à compter de cette même date peuvent être annulés si ceux qui ont traité avec le débiteur ont eu connaissance de la cessation des paiements, ce que ne contestait pas l’administration fiscale.
L’administration fiscale a en outre été condamnée à verser à la société la somme de 2 000 euros supplémentaires au titre des frais irrépétibles.
Comment le Trésor Public peut-il récupérer sa créance fiscale de TVA ?
Il ne nous reste plus qu’à savoir ce qu’il est advenu de la dette de TVA ; en effet, seule la compensation est annulée, et non pas la créance de TVA.
L’administration fiscale a payé le crédit d’impôt à la société, laquelle n’aura jamais à payer l’imposition due au titre de la TVA, faute pour le Comptable du Trésor d’avoir fait, même à toutes fins, une déclaration de créance auprès du Mandataire Judiciaire.
Voilà comment l’administration fiscale aura contribué, à la faveur d’une procédure judiciaire, à reconstituer partiellement les actifs de la société.
Sources :
- Articles L 632-2 et L 632-4 du Code de commerce.
- François-Xavier LUCAS, L’Essentiel du Droit des entreprises en difficultés, février 2015) ; dans cet ouvrage, l’auteur expose que la compensation fiscale opérée en application de l’article L 257 du Livre des Procédures fiscales constitue un paiement au sens de l’article L 632-2 du Code de commerce.
- Jugement du Tribunal de commerce de COUTANCES du 28 janvier 2015 (SAS AIM GROUPE – Maître MERLY – Maître BOURBOULOUX / DGFIP)
- Jugement du Tribunal de commerce de VERSAILLES du 22 juin 2017 (SELARL Philipe JEANNEROT & ASSOCIES, devenue SELARL AJRS – SELARL ML CONSEILS / DGFIP ), avocat plaidant Me Emmanuel STENE
- Arrêt de la Cour d’appel de VERSAILLES du 9 janvier 2018, arrêt confirmatif, Avocat plaidant Me Emmanuel STENE