La réparation du préjudice lié au licenciement : Le Conseil constitutionel rompt l’égalté de tous devant la loi
Par Emmanuel STENE, Avocat au Barreau de Paris / 29 Octobre 2016
Un salarié avait saisi le Conseil de Prud’hommes à la suite de son licenciement pour faute en soutenant que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, et sollicitait en conséquence la réparation de son préjudice.
L’affaire a été portée jusque devant la Cour de Cassation, laquelle s’est interrogée sur la question de la différence de traitement effectuée par la loi entre les salariés, suivant la taille de l’entreprise.
En droit du travail, le seuil qui définit la petite de la grande entreprise n’est pas le chiffre d’affaire mais le nombre de salarié.
Moins de 11 salariés ? Vous êtes une petite entreprise économiquement plus fragile.
Plus de 11 salariés ? Vous êtes une grande entreprise économiquement plus solide.
Une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Lorsqu’un salarié a atteint deux années d’ancienneté et que la mesure de licenciement dont il a été l’objet est estimée sans cause réelle et sérieuse, il ne sera pas traité de la même façon par les tribunaux suivant qu’il appartient à une petite ou grande entreprise (article L 1235-5 et article L 1235-3 du Code du travail) au regard de l’indemnité à laquelle il peut prétendre.
Si son licenciement est considéré comme sans cause réelle et sérieuse, il a droit à une « indemnité de rupture » fixée par le juge, en contrepartie du préjudice causé par la mesure de licenciement, en plus de l’indemnité de licenciement fixée par la convention collective de sa branche professionnelle.
S’il est employé dans une petite entreprise, le montant de l’ « indemnité de rupture » est laissé à l’appréciation souveraine du Juge, en fonction de la preuve qu’il aura apporté du préjudice causé par cette rupture (nombre d’années d’ancienneté, chômage, etc.).
S’il est employé dans une grande entreprise, le montant de l’ « indemnité de rupture » est à deux vitesses :
6 mois plancher ;
Et au-delà, en fonction de la preuve qu’il aura apportée du préjudice causé par cette rupture.
On est confronté à deux principes fondamentaux qui régulent harmonieusement la vie des citoyens :
1/ L’intérêt général ;
2/ L’égalité entre les salariés.
Le Conseil constitutionnel énonce le 13 octobre 2016 que l’intérêt général rend légale la différence de traitement entre les salariés suivant la taille de l’entreprise
La Cour de cassation s’est ainsi posée la question de savoir si la différence de traitement d’un salarié suivant qu’il appartient à une petite ou à une grande entreprise ne serait pas contraire à la Constitution de la République française.
La Cour de cassation a donc saisi le Conseil constitutionnel pour répondre à cette question, car le Conseil constitutionnel est compétent pour statuer sur la conformité aux droits et aux libertés de tout texte de loi.
Par une décision en date du 13 octobre 2016 (décision n° 2016-582 QPC, publiée au Journal Officiel n° 0241 du 15/10/2016 texte n° 69), le Conseil constitutionnel autorise que, dans des situations différentes, soient prises des règles de portée différente quand bien même cela porterait atteinte au principe d’égalité sous la seule condition que ces discriminations soient justifiées par l’intérêt général.
La différence de traitement entre différents salariés, suivant qu’ils appartiennent à une entreprise de moins ou de plus de 11 salariés, est donc justifiée par un motif d’intérêt général.
A ne plus rien y comprendre car le 5 août 2015, le Conseil constitutionnel disait exactement le contraire !
Effectuons un retour en arrière d’une année.
Le Conseil constitutionnel énonçait le 5 août 2015 que la différence de traitement entre les salariés suivant la taille de l’entreprise est anti-constitutionnelle
Par une décision du 5 août 2015, le Conseil constitutionnel avait censuré l’article 266 de la loi Macron qui prévoyait un plafonnement des indemnités prud’homales en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le Conseil constitutionnel motivait sa décision en précisant que la différence de traitement selon la taille de l’entreprise méconnaissait le principe d’égalité devant la loi.
Pour rappel, l’article 266 de la loi Macron voulait introduire un élément de variabilité de ces indemnités selon l’ancienneté du salarié et les effectifs de l’entreprise.
Le Conseil constitutionnel avait apprécié ces deux éléments au regard du principe d’égalité devant la loi et faisait observer qu’il s’évalue à l’aune du préjudice subi par le salarié.
Il estimait que le critère tiré de l’ancienneté du salarié garantit le principe d’égalité, dès lors que tous les salariés ayant la même ancienneté sont dans une situation identique.
En revanche, le critère tiré des effectifs de l’entreprise place les salariés dans une situation inégalitaire : celui qui est licencié dans une petite entreprise serait ainsi moins indemnisé que celui qui doit quitter une entreprise plus grande (le seuil envisagé par la loi Macron était alors de 300 salariés).
Et le Conseil constitutionnel a estimé que l’élément tiré de l’effectif de l’entreprise porte une atteinte excessive au principe d’égalité.
Le Conseil constitutionnel se dédit en introduisant la notion « d’intérêt général »
Dans sa décision du 13 octobre 2016, le Conseil constitutionnel introduit une notion floue, non juridique, non définie : l’intérêt général.
Fabuleuse notion d’intérêt général dont on ne trouve pas la moindre trace dans quelque texte de droit que ce soit en droit français (même, pas dans la constitution) alors que les intérêts particuliers et les libertés publiques qui sont réduites en son nom sont d’un intérêt fondamental pour les citoyens et leurs entreprises, mais aussi clairement définis par les textes qui nous régissent.
De façon surprenante, le Conseil constitutionnel se dédit quatorze mois après sa décision du 5 août 2015.
Comment le Conseil constitutionnel a motivé cette décision du 13 octobre 2016 ?
Alors qu’aucun texte constitutionnel de référence ne renvoie à la notion d’intérêt général, le Conseil constitutionnel intègre quand même cette notion parmi ses instruments de contrôle de la loi (on dit qu’elle érige l’intérêt général en condition de constitutionnalité de la loi).
Le Conseil constitutionnel a fait valoir que le législateur a entendu éviter de faire peser une charge trop lourde sur les entreprises qu’il a estimées économiquement plus fragiles, en aménageant les conditions dans lesquelles la responsabilité de l’employeur peut être engagée.
Que sait-on pourtant de la volonté du législateur, volonté que le Conseil constitutionnel a pourtant vocation à rectifier précisément lorsque les libertés fondamentales et l’égalité est rompue entre les citoyens ?
Le Conseil continue en précisant que « si pour les entreprises d’au moins onze salariés cette indemnité minimale a pour objet les licenciements injustifiés, pour les entreprises de moins de onze salariés, l’indemnité correspondant au seul préjudice subi, fixée sans montant minimal, apparaît en elle-même suffisamment dissuasive ».
Cette décision est surprenante.
En effet, l’indemnité plancher vise, à ce que nous avions compris de la décision du 5 août 2015, à réparer le préjudice d’un salarié.
Le Conseil constitutionnel ne mesure plus la situation à l’aune du préjudice subi par le salarié mais consacre la légalité de la différenciation par le critère de l’effectif qu’il estime conforme à l’intérêt général : dissuader l’entreprise de licencier de façon injustifiée.
Mais, comme on veut à la fois être dissuasif tout en ne mettant pas l’entreprise en péril financièrement, on valide cette différence de traitement.
En d’autres termes, on finit par se poser la question de savoir si la question posée était la bonne question, au regard de l’intérêt général, lequel devrait être entendu comme étant le bien commun.
On en doute.
Le Conseil constitutionnel évoque l’intérêt général sans même définir la notion, et laissant le citoyen penser que dissuader une entreprise de licencier participerait de l’intérêt général, même si les conséquences financières du licenciement sont très différentes.
La question de constitutionnalité à poser est de savoir si le critère du nombre de salarié est constitutionnel ou non puisqu’il différencie les entreprises en fonction du nombre de salariés sans s’attacher aux résultats financiers de l’entreprise.
Le Conseil constitutionnel a rendu légale la rupture de l’égalité des salariés devant la loi
Le Conseil constitutionnel a simplement oublié qu’une indemnité de rupture vise à réparer un préjudice d’un salarié licencié et qu’il s’agissait de savoir, à travers la question que lui posait la Cour de cassation, si les salariés devaient être égaux devant le droit d’en percevoir une.
Puis, une start-up comprenant 10 salariés peut parvenir à un chiffre d’affaire colossal, alors qu’une entreprise de 12 salariés peut battre péniblement de l’aile.
En suivant le raisonnement du Conseil constitutionnel, la première pourra se payer un licenciement injustifié à moindre frais, alors que la deuxième ne le pourra pas sans mettre en péril son existence.
En suivant le raisonnement du Conseil constitutionnel, le salarié qui a donné 15 ans de sa vie active au service d’une petite entreprise de 10 salariés mais qui fait un chiffre d’affaire colossal percevra une indemnité de rupture bien moins importante que le salarié qui n’aura travaillé que deux ans au service d’une gigantesque entreprise.
Décision du 13 octobre 2016 : décision de circonstance ou revirement de jurisprudence ?
La solution de la décision du 13 octobre 2016 n’est pas du tout conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui a toujours considéré que le principe d’égalité devait être apprécié « sur des critères objectifs et rationnels », principe rappelé dans sa décision du 12 août 2004, et la situation des salariés entre évidemment dans cette catégorie.
La décision du 13 octobre 2016 est-elle une décision de circonstance ? Ou amorce-t-elle un revirement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel ?
Dans sa décision du 5 mai 2015, le Conseil constitutionnel rappelait au législateur que le principe d’égalité ne concerne pas seulement les entreprises mais aussi les salariés licenciés, ce qui n’est plus le cas depuis sa décision du 13 octobre 2016.